PAPEETE, le 2 septembre 2019 -
En Polynésie, les 10% les plus riches gagnent... neuf fois plus que les 10% les plus pauvres. En métropole, c'est seulement quatre fois plus. Les inégalités sont donc bien plus marquées au fenua, essentiellement à cause du très faible effort de redistribution de la fiscalité polynésienne.
En Polynésie, les inégalités sont frappantes. Dans certaines communes, des baraque en tôles côtoient des villas luxueuses avec piscine... Comme dans les favelas sud-américaines.
Pour mettre des chiffres sur ce ressenti, il faut se plonger dans les statistiques.
L'enquête "Budget des ménages", réalisée par l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF) en 2015, a interrogé les familles de 3 792 logements sur leurs revenus totaux et leurs habitudes de consommation, un échantillon représentatif de toute la population polynésienne. Les résultats sont disponibles au travers de publications accessibles au grand public sur le site internet de l'ISPF.
Dans le rapport
"Le transport, deuxième poste de dépenses des familles", on apprend ainsi que les familles sous le seuil de pauvreté (la moitié du revenu médian) en Polynésie doivent vivre, à six personnes, avec un revenu de 160 000 Fcfp par mois en moyenne. C'est l'équivalent d'un petit salaire aidé par quelques allocations familiales. Cela veut dire que le chef d'une famille pauvre en Polynésie doit gérer un budget mensuel ultra-serré de 26 700 Fcfp par personne dans son foyer... Soit moins de 900 Fcfp par jour et par personne pour les nourrir, les habiller, les héberger, les transporter, les occuper...
Même en considérant qu'un deuxième adulte consomme 70% autant que le premier, que les ados de 14 à 18 ans consomment moitié autant qu'un adulte et que les enfants de moins de 14 ans consomment seulement un tiers autant d'un adulte (c'est la définition retenue par l'ISPF pour ses "Unités de consommation" qui lui servent de base pour comparer les familles, voir infographie), il ne reste que 45 700 Fcfp par mois et par unité de consommation aux familles pauvres. Ce sont des foyers où même une sortie cinéma est un luxe... Très loin du mode de vie des familles les plus aisées, qui touchent plus de 720 000 Fcfp par mois entre leurs revenus salariaux et les éventuels loyers de leurs propriétés et leurs autres revenus financiers.
DES INÉGALITÉS BIEN PLUS CRIANTES QU'EN MÉTROPOLE
Dans le rapport
"Les dépenses des ménages aux Îles du Vent", l'ISPF publie un tableau contenant la distribution des niveaux de vie par décile (tranches de 10% de la population) dans les îles du Vent et en métropole. Ce tableau utilise les unités de consommation. Le revenu d'une famille est divisé par le nombre d'unités de consommation du foyer. Nous avons résumé ces tableaux dans l'infographie
"Répartition des niveaux de vie" en Polynésie et en Métropole, ci-dessous.
On y voit que les 10% de la population la plus pauvre des îles du Vent, par unité de consommation, disposent de 36 000 Fcfp par mois en moyenne.
Les 10% les plus riches, eux, ont des salaires élevés, souvent complétés de revenus financiers, et ont souvent moins d'enfants à nourrir. Par unité de consommation, ils gagnent 322 000 Fcfp par mois en moyenne. C'est exactement neuf fois plus que les plus pauvres.
Pour comparer, en métropole, l'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres n'est multiplié que par quatre. La lutte contre les inégalités y est une priorité nationale, qui se traduit par une redistribution au profit des familles les plus pauvres. En 2016, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a calculé
que la France versait 57 milliards d'euros, soit 2,6% du PIB, en aide en faveur des ménages pauvres. Ces aides comprennent les minima sociaux – RSA, Allocation adulte handicapé, minimum vieillesse… – les allocations logement, les prestations familiales, et d'autres prestations telles que la prime d'activité et les mécanismes permettant d'alléger la charge fiscale des ménages pauvres. Cette redistribution est financée par la fiscalité élevée, en particulier l'impôt sur le revenu, qui n'existe pas en Polynésie.
Ainsi, avant la redistribution permise par les Impôts et les prestations sociales, le rapport entre les revenus des plus riches et des plus pauvres est de 8,3, très similaire aux inégalités polynésiennes. Mais après le prélèvement des cotisations sociales, des taxes d'habitation et surtout de l'impôt sur le revenu (qui est fonction des revenus des contribuables), les revenus les plus élevés sont diminués de plus de 20%. Cet argent est ensuite redistribué aux plus pauvres grâce au versement des allocations familiales, des aides au logement, de l'assurance chômage et des minimas sociaux. Ces aident permettent de tripler les revenus des Français les plus pauvres
selon des calculs de l'Observatoire des inégalités sur des données de l'Insee. Une fois ce grand transfert terminé, le rapport entre les revenus des plus riches et des plus pauvres est réduit de moitié, à x4.
Les plus pauvres comptent sur le fa'a'apu et la pêche
Pour les ménages sous le seuil de pauvreté, une aide conséquente est l'autoconsommation, principalement des produits apportés par le fa'a'apu ou la pêche.
Selon l'ISPF, ces biens supplémentaires représentent plus de 12 000 francs par unité de consommation, l'équivalent de 42 000 francs pour une famille au seuil de pauvreté. Cela représente la moitié de toute leur consommation alimentaire.
La différence entre les revenus et les salaires
Le salaire est la rémunération versée par un employeur à son salarié à la fin du mois. De son côté, le revenu comptabilise l'ensemble des rentrées d'argent régulières d'un foyer. Le revenu inclut donc le salaire pour les 66 000 salariés de Polynésie, les aides sociales telles que les allocations familiales ou les pensions d'invalidité, les retraites, les revenus financiers comme les dividendes, les loyers versés par les locataires...
Cette distinction est importante. Ainsi, en juillet,
nous vous proposions un comparatif des salaires en Polynésie (l'une des infographies de l'article est reproduite ci-contre). On y découvrait que les 10% des salariés les mieux payés gagnaient plus de quatre fois le SMIG... Mais ce chiffre est loin de refléter les inégalités dans la population entière.
Déjà, il ne compte pas les salaires indexés des fonctionnaires d'État (professeurs, militaires, etc), qui tireraient les hauts salaires vers des sommets. Pire, il ignore complètement les non-salariés. Ce sont 40 000 patentés et 60 000 affiliés au RSPF qui n'ont pas de salaire et ont donc des revenus très inférieurs au SMIG. Toute cette frange de la population au chômage, qui vit de petits boulots au noir, de pêche et d'agriculture. Le nombre de ces personnes sans salaire a explosé cette dernière décennie, maintenant que la Polynésie est victime d'un véritable chômage de masse (selon le recensement de 2007 le taux de chômage était de 11,7 %, pour l'enquête Emploi de 2018, il atteignait 22%). Leurs revenus sont donc très faibles... Une crise sociale qui n'est en rien compensée par la très faible redistribution fiscale.
La CST n'est-elle pas une forme d'impôt sur le revenu ?
En Polynésie, la Contribution de Solidarité Territoriale (CST) est une contribution sociale payée par tous les salariés et travailleurs indépendants. Elle augmente selon le revenu, par tranche. Au SMIG elle est de 0,5 % des revenus, elle progresse ensuite régulièrement. Les revenus supérieurs à 700 000 francs par mois sont ainsi taxés à 9 %, et les revenus de plus de 2,5 millions de francs par mois sont taxés à 25 %. La CST représente environ 13 milliards de francs chaque année en Polynésie, utilisés pour financer le RSPF et des aides à la réinsertion.
Sauf que la CST ne touche ni les revenus financiers ni les revenus des loyers, ce qui épargne les plus grandes fortunes polynésiennes. De plus, la métropole a également des contributions similaires, nommément la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui prélèvent entre 7 et 10 % de tous les revenus (salariés ou financiers) pour financer la solidarité dans le domaine de la santé et de l'emploi.
L'impôt sur le revenu, lui, n'existe qu'en métropole. En 2018, l'impôt sur le revenu était la deuxième source budgétaire de l'État français (73 milliards d'euros de recettes, soit 8 700 milliards de francs), après la TVA (155 milliards d'euros, soit 18 500 milliards de francs) et avant l'impôt sur les sociétés (26 milliards d'euros, soit 3 100 milliards de francs). Il est payé sur tous les types de revenus, avec un taux compris entre 0 % (pour les plus bas revenus) et 45 % (pour les tranches supérieures à 1,5 million de francs par mois).
La courbe de Lorenz pour visualiser les inégalités
Remerciement
Merci à l'artiste inconnu qui a partagé cette vahine sur internet, que nous avons pu utiliser pour créer notre infographie. Si vous en êtes l'auteur, n'hésitez pas à contacter la rédaction pour être crédité !
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